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Comment faire... - Vendredi 06 Mai 2022

Évaluer l'information (partie 2) : Prendre conscience des bulles de filtre et de l’économie des médias

(Partie 1 : Eviter les biais cognitifs et mesurer la fiabilité et la pertinence de l’information)

Les médias généralistes accessibles au grand public, que vous consultez à la fois pour vous informer au quotidien et pour alimenter vos travaux académiques, s’appuient presque tous sur une conception libérale de l’information. Indispensable à l’exercice du jugement des individus dans les démocraties et économies de marché, l’information doit être exacte, vérifiable. Son principal critère disqualifiant est par conséquent la fausse nouvelle, la rumeur. 

On peut cependant nuancer cette conception un tant soit peu idéalisée. L’information n’est effectivement pas traitée d’égale manière selon qu’elle couvre des sujets importants ou non pour les intérêts économiques et politiques dominants dans nos sociétés. Les individus n’agissent pas forcément dans leur intérêt propre, mais se révèlent influençables, et la présentation de l’information qui leur est faite en tient compte. 

Un outil intéressant d’un point de vue pratique pour éviter ces autres biais possibles de l’information est la cartographie des grands groupes de presse et de médias, faisant apparaître leurs propriétaires, leurs ressources. Dépendent-ils plus ou moins de la publicité, de leur lectorat, de subventions publiques ?

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Source : Acrimed

Cette approche de l’évaluation de l’information par sa provenance rejoint celle de ses conditions de production. L’information est-elle le résultat d‘un long travail d’investigation de journalistes indépendants, ou générée en temps réel par des pigistes travaillant sous la pression de l’immédiateté et d’un nombre de clics à générer ? Le numérique a reconfiguré considérablement la production d’information, du fait des revenus publicitaires qui se sont reportés de la presse écrite et télévisuelle vers la toile, au profit d’intermédiaires tels Google, plutôt que des producteurs d’information eux-mêmes.

Les GAFAM tirant profit de la publicité d’autant plus que celle-ci est profilée, la distribution de l‘information en ligne est donc soumise autant à des distorsions liées à la génération d’audience qu’à la création inévitable de “bulles de filtre”. 

Eli Pariser a dénommé "bulle de filtre" cet "univers d'information unique pour chacun d'entre nous" créé par l'adaptation constante du contenu que nous voyons sur internet à nos préférences. Cette personnalisation se fait par l'intermédiaire d'algorithmes qui croisent nos actions passées sur le réseau avec celles de personnes partageant certaines de nos actions ou caractéristiques, afin de prédire ce qui nous intéressera le plus.
Ce phénomène de bulle de filtre est nouveau en ce qu'il introduit trois dynamiques inédites selon Eli Pariser :

  • l'isolement strict de la personne dans sa bulle de filtre, à l'inverse des médias, qui même très spécialisés, ont toujours une audience composée de plusieurs personnes.
  • l'invisibilité des contours de la bulle de filtre, l'opacité des critères qui la forment. A l’inverse de l'orientation politique d'un journal qu'il est possible de connaître, l'internaute ne sait pas comment, par quels biais, ses informations sont personnalisées.
  • l'impossibilité de choisir d'entrer ou non dans sa bulle de filtre. Contrairement à un journal qu'on choisit de lire, ou une chaîne de télévision de regarder, le filtrage de l'information du web s'effectue sans qu'on y prenne garde, et est de plus en plus difficile à éviter. 

Il faut en tenir compte si l’on recherche une information plutôt objective, de qualité car issue d‘un travail rigoureux de journalisme. Une information dont le but premier n’est pas de séduire pour générer de l’audience, ni d’aller dans le sens des croyances particulières des individus pour les retenir sur un réseau dont la valeur croît avec le nombre d’utilisateurs. Il y a là évidemment un enjeu pour le débat public.  

Ainsi une information pourra être évaluée en fonction de son indépendance vis-à-vis d’influences bien réelles, et de son potentiel de dévoilement de phénomènes jusqu’alors mal vus ou passés sous silence. Il ne s’agit pas de chercher des scoops, dont on connaît le risque d’erreurs, mais plutôt du défrichement de nouveaux aspects d’une réalité, plus ardus à faire connaître du fait des biais évoqués ci-dessus, et d’une démarche similaire à celle des lanceurs d’alerte. Cette approche de l’information est en rapport avec l’éthique scientifique, car elle s’inscrit dans le paradigme de la recherche de vérité

 

Sources : 

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